Vox Luminis : un concert exceptionnel au Temple Neuf
L'ensemble Vox Luminis, sous la direction artistique de Lionel Meunier, s'est produit au temple Neuf dimanche 28 février pour un concert exceptionnel.
Le public, venu nombreux, a partagé avec les artistes un moment de ferveur placé sous le signe de la passion pour la musique baroque allemande.
Magnifique interpétation, portée par des voix très justes aux timbres variés dans un répertoire de musique luthérienne qui a su enchanter les amateurs. Des oeuvres de Johann Pachelbel (1653-1706), Johann Christoph Bach (1642-1703), Johann Michael Bach (1648-1694), Dietrich Buxtehude (1637-1707) ainsi que Johann Sebastian Bach (1685-1750) composaient le programme mettant en évidence les différentes facettes de la cantate et du motet baroque allemand.
Quand on parle de cantates, le nom de Jean-Sébastien Bach s'impose immédiatement. A juste titre. Plus de 200 morceaux ont été retrouvés, qui sont pour la plupart de véritables chefs d'oeuvre. Remontant à son séjour à Leipzig, elles comportent le plus souvent un choeur d'entrée, une alternance d'airs et de récits, et un choral.
Le programme a présenté ici celles que l'on appelle habituellement les "cantates de jeunesse". D'un style venu tout droit de ses prédécesseurs, aux premiers rangs desquels Johann Pachelbel et Dietrich Buxtehude, elles ne comportent pas encore de Récit ou de Choral.
Pachelbel fut un ami proche du père de Jean-Sébastien et on connaît l'admiration de Jean-Sébastien pour Buxtehude. La musique religieuse allemande du début du XVIIème siècle est essentiellement faite de petites pièces, motets polyphoniques ou concerts spirituels - Geistliche Konzerte - rassemblant à peine quelques chanteurs ou instruments, soutenus par une basse continue.
Les deux cantes de Johann Pachelbel Was Gott tut das ist wohlgetan et Christ lag in Todesbanden réunies ici occupent une place importante dans l'invention du genre. Les dimensions de ces oeuvres sont plus imposantes à deux points de vue. D'une part la composition de l'ensemble qui réunit quatre voix et un ensemble instrumental à cinq parties de cordes, d'autres part la division de la composition en plusieurs sections : "sinfonie" et ritournelles instrumentales, versets confiés à des solistes -solo, duo...- et choeurs.
Sopranos: Zsuzsi Tóth, Kristen Witmer
Altos: Daniel Elgersma, Barnabás Hegyi
Tenors: Robert Buckland, Philippe Froeliger
Basses: Lionel Meunier, Mathew Baker
Violons: Jacek Kurzydlo, Giraudo Lucia
Viole de gambe: Mieneke Van der Velden
Ricardo Rodriguez Miranda
Violoncelle: Emily Robinson
Basson: Benny Aghassi
Orgue: Bart Jacobs
Ces compositions constituent le parfait modèle des futures cantates de J.S. Bach. Le rôle du choral luthérien y est fondamental. Il est omniprésent dans "Was Gott ut, das ist wohlgetan" (Ce que Dieu fait est bien fait), et Pachelbel y démontre une grande maitrise du style contrapuntique. Les similitudes entre la cantate de Pachelbel, Christ lag in Todesbanden (Le Christ gisait dans les liens de la mort) avec celle de Bach, du même nom, sont frappantes.
Une sinfonia, très proche, des dispositions vocales et instrumentales souvent identiques : une polyphonie à trois voix, Cantus firmus au soprano, deux duos soutenus par la basse continue, un solo de basse accompagné par des cordes ; une présence quasi permanente d'éléments mélodiques empruntés au choral de Pâques. Jean-sébastien a peut-être entendu cette cantate lors d'un office à Eisenach, ou lorsqu'il a été recuelli par son frère Johann Christoph (1671-1721) si ce n'est tout simplement en lisant la partition.
Johann Christoph Bach laisse une oeuvre à l'écriture harmonique originale, parfois inattendue et audacieuse, donnant à sa musique une grande intensité et une profondeur que Jean-Sébastien, son neveu, admirait. Le motet Der Mensch vom Weibe geboren (L'Homme né d'une femme), librement polyphonique, est construit en deux parties contrastées.
Dédié à deux choeurs mixtes, ou à huit voix, le motet Herr ich warte auf dein Heil (Seigneur, j'attends ton salut)de Johann Michael Bach, petit-cousin de Jean-Sébastien, est un motet-choral qui réunit le texte des Ecritures et les strophes d'un cantique.
Le langage musical du XVIIème siècle a trouvé en la personne de Dietrich Buxtehude l'un de ses plus fervents promoteurs, et il peut être considéré comme le seul musicien allemand de cette époque digne d'être comparé à J.S. Bach. Audace, rigueur, innovation et perfection semblent être les signes de ralliement de ces deux plus imposantes personnalités musicales de la culture baroque germanique. Dans la cantate Jesu meines Lebens Leben (Jesus, vie de ma vie), après une sinfonia introductive, les cinq strophes sont soutenues par un ostinato fondé sur un tétracorde descendant et répété à quarante et une reprises.
La cantate Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit (Le règne de Dieu est le meilleur de tous) BWV 106, titré Actus Tragicus, se range parmi les plus importantes des oeuvres de J.S.Bach. Directement inspirée d'un texte biblique, elle présente une profondeur d'une grande intensité et a été qualifiée par Alfred Dürr, musicologue allemand, grand spécialiste de Bach, "d'oeuvre d'un génie tel que même les plus grands maîtres y parviennent rarement...l'Actus Tragicus appartient à la plus haute littérature musicale du monde".
Nach dir, Herr, verlanget mich (Vers toi, Éternel, j’élève mon âme) BWV 150 de J. S. Bach est sans doute la plus ancienne des cantates de Bach qui nous soit parvenue. Si l’authenticité de cette cantate a été mise en doute, sa beauté, elle, ne l’a jamais été. D’un auteur inconnu, le livret paraphrase le Psaume 25, imploration des hommes dans le péril et appel au salut divin. C’est un chant d’espérance qui élève le chrétien, quand bien même les malheurs viennent le meurtrir. Le dernier chœur se développe sur un thème de basse que Johannes Brahms modifia légèrement pour établir les variations du dernier mouvement de sa quatrième symphonie.
Photographies de Philippe GISSELBRECHT